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Le musicien Blick Bassy redonne vie à une figure du Cameroun éliminée par la France en 1958

lundi 1er avril 2019 par Fanny Pigeaud

Ruben Um Nyobè est une personnalité emblématique de la résistance anticoloniale en Afrique. Le pouvoir français l’a éliminé physiquement en 1958, avant de s’employer à effacer son souvenir de la mémoire collective. Dans un album sorti début mars, le musicien Blick Bassy lui rend hommage.

Au Cameroun, il a été impossible pendant plusieurs décennies de prononcer publiquement le nom de Ruben Um Nyobè sans risquer d’être arrêté et emprisonné. Les pouvoirs publics n’ont par la suite jamais organisé de reconnaissance officielle autour de cette figure de la lutte pour l’indépendance. Afin de réveiller les consciences et les mémoires, le musicien camerounais Blick Bassy lui rend hommage dans un disque, intitulé 1958 (No Format/Tôt ou Tard), année de son assassinat par l’armée coloniale française.

Chanteur, guitariste et compositeur, Blick Bassy, qui est né en 1974 et en est à son quatrième album, s’est intéressé de près à Ruben Um Nyobè lorsqu’il a cherché à identifier les causes du « chaos politique, économique et social » dans lequel est plongé le Cameroun. Enfant, il entendait parler de ce personnage historique dans des contes que lui racontait sa mère, ainsi qu’à l’école, où « il nous était présenté comme un terroriste », se souvient-il.

Ce n’est que bien plus tard qu’il comprend son importance : « J’ai découvert ses écrits qui m’ont bouleversé. On connaît Um Nyobè comme quelqu’un qui se battait pour l’indépendance. En réalité, il se battait pour des valeurs universelles, comme l’égalité entre les hommes. »

La guerre aura fait, au bas mot, des dizaines de milliers de morts.

Au cours des décennies suivantes, seuls des anciens entretiennent, dans l’intimité familiale, le souvenir de Ruben Um Nyobè. « J’avais une grand-mère, Susana Ngo Yem. C’est elle qui me lança sur les traces d’un homme disparu, dont la mémoire avait été ensevelie sous les décombres des interdits et de la censure d’État. En effet, longtemps après son exécution, il était interdit d’évoquer en public le nom de Um, de porter par-devers soi son effigie, de le citer, de se référer à ses enseignements ou à ses écrits », raconte Achille Mbembe.

L’historien poursuit : « Tout se passait comme s’il n’avait jamais existé et comme si sa lutte n’avait été qu’une banale entreprise criminelle. Tout petit, j’entendais, certains jours, au détour d’une tâche domestique, ma grand-mère chanter toute seule des chants de lamentation. Souvent, ces chants avaient pour figure centrale Ruben Um Nyobè. J’imagine que, comme Um avait été privé de funérailles après son exécution et son enterrement à la sauvette au cimetière de la mission presbytérienne d’Eseka, ces chants servaient à accompagner son ombre et à lui ouvrir la voie d’un possible repos, en compensation de l’inqualifiable injustice dont il fut la victime après son trépas ».

Ruben Um Nyobè, au centre, avec des lunettes noires. © DR

En 1991, l’interdit concernant Um Nyobè est levé : le pouvoir camerounais promulgue une loi le réhabilitant, ainsi que deux autres responsables de l’UPC, Félix Moumié, mort en 1960, empoisonné par un agent des services secrets français, et Ernest Ouandié, exécuté sur la place publique en 1971. Mais rien de plus n’est fait et le traumatisme demeure.

Blick Bassy a dû rassurer son grand-père quand il l’a interrogé, il y a quelques années. « Il chuchotait pour parler de Um Nyobè parce qu’il avait peur. Après l’indépendance, beaucoup de ceux qui avaient été soupçonnés d’avoir appartenu à la rébellion ont disparu. Ceux qui ont vécu tout cela ne sont pas encore libérés du fantôme meurtrier de cette période. Il ne faut pas oublier que nous sommes toujours gouvernés par le parti qui avait été créé pour contrer Um Nyobè et qui militait pour une indépendance partielle. »

Soixante ans après la mort du leader indépendantiste, le bilan est amer : la notion d’intérêt public est devenue floue, les débats d’idées sont inexistants, la corruption gangrène toutes les sphères de la société camerounaise, les ressources naturelles du pays sont exploitées par des multinationales. « Pouvons-nous prétendre que nous sommes véritablement indépendants, ployant sous le poids d’une double prédation interne et externe ? Que dire de l’idéal de la réunification du Cameroun alors que le désir de sécession n’a jamais été aussi virulent parmi les anglophones ? Et la fragmentation ethnique ? Le Cameroun est devenu une satrapie », juge Achille Mbembe.

Avec 1958, Blick Bassy veut amener ses compatriotes à s’interroger, à retrouver leur passé pour réorienter leur destinée collective. « Les jeunes ne savent pas grand-chose et ne cherchent pas à savoir. Or nous avons une responsabilité. Il y a des gens qui ont autrefois décidé de se battre pour l’intérêt commun, tout en sachant qu’ils allaient mourir. Que faisons-nous de cet héritage ? » demande-t-il. Dans Kundè, un de ses textes, il s’imagine dans la peau de Um Nyobè et lui fait dire en bassa, sa langue maternelle qui était aussi celle du Mpodol : « Je me suis sacrifié pour notre pays, et vous ai laissé l’alphabet qui vous permettra de réécrire notre histoire. J’ai laissé des semences afin que vous puissiez bâtir un avenir meilleur. »

L’interpellation vaut aussi pour l’État français.« Aujourd’hui, le sentiment antifrançais est devenu terrible dans les pays d’Afrique francophone. Tout part de cette relation pas sincère établie entre la France et ces États. La France gagnerait à reconnaître solennellement qu’elle a fait des erreurs, des choses négatives. Ce n’est qu’après qu’il pourra y avoir un nouveau départ entre elle et les pays concernés. » Jusqu’à présent, les autorités françaises, qui ont longtemps nié avoir mené une guerre au Cameroun, n’ont que vaguement reconnu par la voix de François Hollande, en 2015, qu’il y avait eu une « répression ».

Achille Mbembe estime pour sa part qu’il n’y a « rien à attendre de la France que nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes. Le sort de Um, tout comme celui de l’Afrique, est entre nos mains. Encore faudrait-il que nous le sachions, et que nous nous organisions en conséquence ». Une certitude : Ruben Um Nyobè est celui qui, « pour la toute première fois dans notre histoire, imagina le Cameroun comme un concept. Avec lui, le Cameroun passe d’une invention coloniale et d’un accident géographique à une Idée et à un projet. Um fut un ouvreur d’imaginaire. C’est la raison pour laquelle il sera avec nous jusqu’à la fin des temps ». Certes, ses camarades et lui ont « subi une défaite, mais l’imaginaire qu’ils ont ouvert est ineffaçable ».

À la fois élégantes et puissantes, aux accents nostalgiques ou plus enjoués, la voix et la musique de Blick Bassy redonnent justement du souffle à cet imaginaire. Grâce à cette pépite musicale qu’est 1958 et à deux clips, Ngwa et Woñi, réalisés par le Sud-Africain Tebogo Malope aka Tebza, nul doute que le musicien portera à son tour, et très loin, la parole de celui qu’il présente comme son « héros ».

Il sera en concert le 15 avril à Paris, à La Cigale, avant d’entamer une tournée internationale.

   

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