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Vingt ans après, les plaies ouvertes du Kosovo

lundi 25 mars 2019 par Philippe Descamps

Le 24 mars 1999, les pays occidentaux larguaient leurs premières bombes sur la République fédérale de Yougoslavie, réduite à la Serbie et au Monténégro depuis 1992. Pour la première fois de son histoire, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) entrait en guerre contre un pays souverain, qui ne menaçait ni ses voisins ni aucun de ses membres.

Déclenchés sans mandat des Nations unies et au prétexte de l’échec des négociations de Rambouillet, les bombardements durèrent jusqu’au 3 juin. Après la destruction de nombreuses infrastructures, le président Slobodan Milošević finit par céder aux exigences occidentales concernant la région majoritairement albanophone du Kosovo : retrait des forces serbes, déploiement d’une force internationale et retour des réfugiés.

Dès les premiers heurts du printemps 1987 entre les autorités albanaises qui gouvernaient alors cette région autonome et la minorité serbe, Milošević avait adopté une rhétorique nationaliste pour conquérir le pouvoir, puis s’y maintenir. Devenu chef de la Ligue des communistes de Serbie la même année, puis président de cette république en 1989, il fit abolir le statut d’autonomie de la région au sein d’une Fédération yougoslave moribonde, avant de mobiliser l’armée fédérale pour défendre les minorités serbes en tentant d’arrêter la marche vers l’indépendance de la Slovénie, de la Croatie, puis de la Bosnie-Herzégovine.

Le siège de Sarajevo et les exactions des milices bosno-serbes de Radovan Karadžić — qui vient d’être condamné en appel à la prison à vie pour crime contre l’humanité — rendirent les revendications serbes inaudibles. Dès 1995, Milošević dut enterrer le rêve de Grande Serbie en signant les accords de Dayton (États-Unis), mettant fin à la guerre de Bosnie par une solution confédérale. Mais il tenait toujours d’une main de fer le Kosovo.

Écartés du pouvoir dans une région où ils représentent près de neuf habitants sur dix, les Albanais du Kosovo comptaient de moins en moins sur la désobéissance civile prônée par leur chef historique lbrahim Rugova pour recouvrer leur liberté. L’insurrection du printemps 1998 sous la férule de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), inspirée par le communisme autarcique d’Enver Hoxha (dirigeant de l’Albanie de 1945 à 1985), déclencha une répression féroce.

Pour justifier en réponse le recours à la force, les Occidentaux dénoncèrent l’intransigeance serbe, ne reculèrent devant aucune exagération sur la situation vécue surplace, présentée comme un « génocide », quitte à mettre en avant de fausses nouvelles relayées par de nombreux médias [1].

La publication sur le site du Monde diplomatique du contenu des accords de Rambouillet démontra pourtant que l’inflexibilité n’était pas toujours du côté attendu : les Serbes acceptaient notamment un gouvernement autonome, des élections libres et la libération de tous les détenus politiques [2].

Mais les Occidentaux voulaient imposer la présence de troupes sous le commandement de l’OTAN. Ce qu’ils ne purent gagner par la négociation, ils l’obtinrent par la guerre, au prix du déplacement de centaines de milliers de réfugiés supplémentaires, de nombreux « dégâts collatéraux » touchant des civils, et de nombreux crimes, encore impunis, de chefs de l’UÇK.

Dirigée sur le plan militaire par le général américain Wesley Clark (futur candidat à l’investiture démocrate en 2004) et le socialiste espagnol Javier Solana, secrétaire général de l’OTAN, la campagne fut menée sur le plan politique par la fine fleur de la « gauche occidentale ». Le président démocrate américain William Clinton pouvait compter sur le soutien des grands pays européens, tous gouvernés par des sociaux-démocrates : Anthony Blair au Royaume-Uni, Gerhard Schröder en Allemagne, Massimo D’Alema en Italie et Lionel Jospin en France.

Vingt après, l’OTAN intègre désormais la Slovénie, la Croatie et le Monténégro et entretient toujours des troupes localement. Situé non loin de la capitale Pristina, le camp Bondsteel, l’une des plus grandes bases des États-Unis en Europe, a également servi de lieu de détention et d’interrogatoire durant les conflits d’Irak et d’Afghanistan.

En 1999, les Kosovars fuyaient par centaines de milliers la guerre. Au printemps 2017, ils étaient des dizaines de milliers à fuir la misère. En dépit des bienveillances occidentales, l’économie du Kosovo n’a jamais décollé. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant reste le plus faible de la région, le chômage touche 31 % de la population (dont un jeune sur deux) et le déficit commercial atteint 38 % du PIB. Les seuls éléments dynamiques relèvent de l’économie informelle (au moins un tiers du PIB) et des transferts d’argent des émigrés travaillant en Europe occidentale [3].

Sur le plan géopolitique, la guerre du Kosovo a marqué l’apogée d’un monde unipolaire — sous domination américaine — issu de la fin de la guerre froide. Elle a consacré l’OTAN comme « gendarme du monde », intervenant en Afghanistan, au Darfour, en Irak, en Libye, dans la Corne de l’Afrique ou en Macédoine, bien loin de sa vocation initiale : « assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord [4] ». Le président Donald Trump vient même d’évoquer l’adhésion du Brésil…

Réaffirmé aux dépens des minorités serbes lors des conflits de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, le principe du respect de l’intégrité territoriale fut bafoué d’abord dans les faits, puis avec la reconnaissance occidentale de l’indépendance du Kosovo, proclamée en février 2008.

Arrivé au pouvoir en août 1999, Vladimir Poutine gardera un souvenir cuisant de l’humiliation subie par la diplomatie russe lors de ce conflit, en particulier du double discours occidental. Six mois après l’indépendance kosovare, et à l’occasion du conflit avec la Géorgie, la Russie reconnaissait la pleine souveraineté de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Le président Poutine s’appuiera également sur ce précédent pour justifier l’annexion de la Crimée en mars 2014 [5].

Le redécoupage des frontières de la région sur des bases essentiellement ethnolinguistiques et religieuses pourrait connaître un nouveau développement avec les tractations en cours entre Belgrade et Pristina.

Le président serbe Aleksandar Vučić ne cache plus qu’il serait prêt à reconnaître le Kosovo en échange de contreparties territoriales, tandis que son homologue Hashim Thaçi espère intégrer à son pays les Albanais de Serbie. Un tel accord entérinerait la fin d’une cohabitation féconde et pluriséculaire dans les Balkans. Pour les minorités de Bosnie, de Macédoine ou de la région autonome de Voïvodine en Serbie, il ouvrirait une nouvelle boîte de Pandore.

Lire une sélection d’archives du Monde diplomatique sur le conflit, sa couverture et ses conséquences. Ici.


Voir en ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/c...


[1Lire « Le plus gros bobard de la fin du XXe siècle » dans Le Monde diplomatique d’avril 2019, à paraître le 27 mars.

[2Lire Paul-Marie de La Gorce, « Histoire secrète des négociations de Rambouillet », Le Monde diplomatique, mai 1999.

[3« Kosovo. Situation économique et financière », Direction générale du Trésor, 15 mai 2018.

[4Traité de l’Atlantique Nord, 4 avril 1949.

[5Lire « Du Kosovo à la Crimée » et « “L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est” », Le Monde diplomatique, respectivement février et septembre 2018.

   

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