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Le Temps des bouffons

mardi 1er janvier 2019 par Le Monde Diplomatique

Trait caractéristique des classes dirigeantes, la certitude de ne devoir sa position qu’à ses propres mérites s’accompagne d’un intense contentement de soi : hors du commun, on survole le menu fretin. Mais, connaissant d’expérience l’irritabilité des classes populaires, patrons, hauts fonctionnaires et intellectuels tâchent, dans la mesure de leurs capacités, de limiter les manifestations publiques de condescendance.

Cette arrogance satisfaite qu’affiche le jeune président français Emmanuel Macron, les notables plus roués savent en réserver l’expression à des cercles fermés : clubs, comités et conseils où nul défilé de « gilets jaunes » ne viendra polluer l’atmosphère par des considérations vulgaires sur le diesel et les fins de mois (voir le dossier « Le soulèvement français » dans le numéro de janvier, en kiosques).

Cinéaste et militant indépendantiste québécois, Pierre Falardeau [1] (1946-2009) a saisi en 1985, à Montréal, l’un de ces moments de félicité où l’élite se déboutonne. Réunis à l’hôtel Queen-Elisabeth, les membres du Beaver Club célèbrent le deux-centième anniversaire de ce cénacle fondée en 1785 par les maîtres du commerce de la fourrure.

La première moitié de ce court documentaire (15 minutes) emprunte au registre de l’ethnographie : Falardeau observe la bourgeoisie coloniale canadienne comme l’anthropologue Jean Rouch [2] étudiait les tribus, avec leurs rites, leurs hiérarchies et leurs costumes. Il fait ce que tant de journalistes ont cessé de faire à mesure qu’ils installaient leur lit de camp dans les vestibules du pouvoir : rendre public cet entre-soi conçu précisément pour échapper au regard extérieur.

La vision de ces images suscite chez le spectateur une sorte de colère incrédule qui, comme par sympathie, gagne peu-à-peu la voix du commentateur lui-même. « Toute la rapace est là : des boss pis des femmes de boss, des barons de la finance, des rois de la pizza congelée, des mafiosos de l’immobilier, (…) des journalistes rampants habillés en éditorialistes serviles, des avocats véreux, costumés en juges à 100 000 dollars par année, des lèche-culs qui se prennent pour des artistes », fulmine Falardeau en joual, la langue populaire québécoise. « Ils crient haut et fort, sans gêne, leur droit au profit, leur droit à l’exploitation, leur droit à la sueur des autres. Ils boivent à leurs succès. Ils chantent que tout va bien, que rien ne doit changer, que c’est pour toujours… toujours aux mêmes, toujours les mêmes. »

Le Temps des bouffons ne sera finalisé et projeté sur écrans qu’en 1993, il y un plus d’un quart de siècle. Pourtant, quand le président du Beaver Club conclut la cérémonie en bramant : « À vous tous, nos membres, à nous tous, applaudissons-nous ! », comment ne pas percevoir l’écho d’une autre voix présidentielle longtemps infatuée mais soudain inquiète à l’idée que les foules ne forcent les portes du banquet ?

Pour visionner le documentaire de Pierre Falardeau Ici.


[2Lire Philippe Person, « Jean Rouch, le “griot gaulois” », Le Monde diplomatique, février 2018.

   

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